En 1690 mourait sainte Marguerite-Marie, la confidente du Sacré-Coeur. Petit à petit la dévotion au Sacré-Coeur se répand en France, en Espagne et dans toute l'Europe, comme aussi dans la plupart des missions des Jésuites. Des évêques, des prêtres, des religieux et des religieuses en grand nombre, prient, luttent, parlent, écrivent pour son triomphe. Trois cents confréries sont établies en moins de 30 ans, de nombreux évêques parlent en faveur de ce culte. On compte par centaines les brefs accordés par les papes en faveur de cette dévotion. Mais il manque le principal, la reconnaissance officielle par l'institution d'une fête liturgique comme l'avait demandé Notre-Seigneur Jésus-Christ à sainte Marguerite-Marie.
Les premières démarches à Rome
Le Père Galliffet, jésuite français, présent à Rome en raison de sa charge, a l'occasion de travailler à la demande d'autorisation d'une fête du Coeur de Jésus. Ayant conscience de la nouveauté de la chose, il se contente dans un premier temps de solliciter un office et une messe en l'honneur du Sacré-Coeur pour l'ordre de la Visitation auquel appartenait sainte Marguerite-Marie. Malgré ses efforts, les juges de la Congrégation des rites donnent un avis défavorable le 12 juillet 1727 estimant inopportune cette demande : les postulateurs, dont le Père Galliffet, doivent s'abstenir d'insister sur une affaire qui présente de trop nombreuses difficultés ; persévérer, c'est s'exposer à un refus.
Mais passant outre à ces sages conseils, il sollicite de la Congrégation des Rites une décision. Ce méprenant sur les dispositions de certains membres, il croit être sur le point d'avoir une réponse favorable. Mais les juges romains estiment que la question n'est pas mûre, ou bien trouvent insuffisantes les raisons du postulateur ; ils répondent donc le 30 juillet 1729 par un non absolu car ils estiment que la question n'est pas mûre, ou bien trouvent insuffisantes les raisons du postulateur.
Cette décision arrête l'affaire en Cour de Rome. Mais les raisons invoquées ne font pas perdre tout espoir, car le temps fait murir les choses et une réflexion plus approfondie permettra de trouver des arguments plus convaincants.
Cette décision n'a évidemment pas arrêté la diffusion de cette dévotion parmi les fidèles, malgré l'hostilité des jansénistes, farouchement opposés à la dévotion au Sacré-Coeur. Pou autant il est encore prématuré de reprendre les démarches sous Clément XII (1730 -7140), c'est trop récent ; avec sons successeur Benoit XIV (1740 -1754), ce n'est pas la peine d'y songer ; il a gardé jusqu'au bout les idées nettement hostiles qu'il avait en 1729 lorsqu'il était promoteur de la foi.
Interventions des têtes couronnées
Mais en France, il y a Marie Leczinska, polonaise, épouse de Louis XV et reine de France, qui est toute gagnée au Sacré-Coeur. Elle fait des démarches en cours de Rome, encourage son père, roi de Pologne a agir en faveur de la dévotion du Sacré-Coeur ; elle a aussi de l'influence sur un autre roi de Pologne, Auguste III. Ces deux rois seront les premiers à faire des démarches en 1762 et 1763 auprès du successeur de Benoit XIV, Clément XIII. Le duc de Bavière intervient aussi la même année (1763). En plus de ces démarches de souverain, un grand nombre d'archevêques, évêques (dont saint Alphonse de Liguori), supérieurs d'ordres religieux interviennent en 1763 et 1764 ; à la même époque un mémorial des évêques de Pologne demande l'institution de cette fête avec un office et une messe. Clément XIII ne pouvait pas rester insensible à toutes ces suppliques.
Une première approbation partielle
Nous sommes à l'époque de la suppression des Jésuites en Portugal (1759), puis en France (1763) ; la compagnie est attaquée de partout, et par ce biais, c'est l'Eglise elle même qui est attaquée. Ces circonstances douloureuses ont peut-être incité la Sacrée Congrégation des Rites à hâter son travail. Quoiqu'il en soit, le 26 janvier 1765 la Sacrée Congrégation des Rites autorisait la Messe et l'Office du Sacré-coeur pour la Pologne et l'archiconfrérie romaine du Sacré-Coeur. Le décret, daté du 6 février et pleinement approuvé par le pape, justifiait cette concession par les raisons suivantes : "la concession... n'a pas d'autre but que de développer un culte déjà établi, de renouveler symboliquement la mémoire du divin amour, par lequel le Fils unique de Dieu a pris la nature humaine, et, obéissant jusqu'à la mort, a voulu montrer aux hommes, par son exemple, qu'il était doux et humble, comme il l'avait dit..." le décret continue en affirmant explicitement qu'il s'écarte des décisions du 30 juillet 1729. Cette remarque est importante car cela montre non pas une contradiction mais une évolution décisive : les objections de 1729 ont pu être soulevées.
Ce décret autorisait l'office du Sacré-Coeur mais reportait à plus tard le choix de l'office qu'il fallait approuver. La décision fut rapidement prise puisque le 11 mai 1765 la Sacré Congrégation approuva pour le royaume de Pologne et l'Archiconfrérie romaine un office et une messe qui restèrent en usage jusqu'en 1929.
Ce décret était donc un triomphe et spécialement pour les Jésuites qui avaient grandement travaillé en première ligne à cela, en réponse à la demande de Notre-Seigneur faite par l'intermédiaire de sainte Marguerite-Marie, qui avait confié à la compagnie de Jésus la mission de répandre le culte du Sacré-Coeur de Jésus. Le pape Jean-Paul II a rappelé cette mission aux Jésuites lors de son pèlerinage à Paray-le-Monial.
Extension de l'application du décret
Si cette victoire réjouit les dévots du Coeur de Jésus, les déistes, jansénistes et gallicans, dépités, redoublent leurs attaques contre les jésuites déjà bannis du Portugal, d'Espagne, et de France. Pour les gens de bien, il y a victoire, mais elle n'est pas totale : seule la Pologne et l'archiconfrérie romaine ont ce privilège. C'est pourtant une brèche appelée à s'élargir rapidement. Dès le 10 juillet 1765 l'ordre de la Visitation à reçu la permission de célébrer la fête du Sacré-Coeur, le vendredi qui suit l'octave du Saint Sacrement. Le 6 août c'est toute la ville de Rome qui bénéficie de cette concession. En 1766 c'est au tour de l'ordre des Jésuites de pouvoir célébrer cette fête.
En France, les évêques persuadés à tort qu'ils ont dans leur diocèse le même pouvoir liturgique que le Souverain Pontife dans toute l'Eglise, permettent sans recourir au Pape et à la demande de la Reine de France, de fêter le Coeur de Jésus. Ainsi au cours des années 1766, 1767 on voit de plus en plus d'évêques du royaume de France établir la Fête du Sacré Coeur dans leur diocèse.
Le décret de 1765, même s'il est partiel, a fait de la dévotion au Coeur de Jésus une dévotion catholique, universelle. Nous verrons dans un prochain article les dernières étapes qui mèneront à l'établissement de la fête du Sacré-Coeur pour l'Eglise universelle.