Le Voile du Manoppello pose plusieurs questions notamment quant à son origine et son histoire. S'identifie-t-il avec le voile de sainte Véronique, sur lequel la sainte Face du Sauveur s'est imprimée durant la Passion et plus précisément au cours du chemin de croix ? ou provient-il des linges funéraires utilisés pour la mise au tombeau du Christ Sauveur, et, dans ce cas, le voile de Manoppello aurait été posé sur la tête du Christ mort dans le tombeau ? De la réponse à ces questions dépend l'explication avancée pour l'arrivée de ce voile à Manoppello.
Objections à l'identification entre le Manoppello et le voile de sainte Véronique
Cette identification entre le voile de Véronique et celui de Manoppello peut s'envisager de deux manières :
- soit la Véronique et le Manoppello sont le voile avec lequel sainte Véronique a essuyé le visage du Christ durant le chemin de croix ;
- soit ils sont un unique linge funéraire qui recouvrait le visage du Christ durant sa présence dans le tombeau.
Le voile de Manoppello pour essuyer la face de Jésus ?
La première hypothèse n'est pas défendable pour les deux raisons suivantes :
- sur le voile de Manoppello le Christ a les yeux ouverts, il ne semble pas souffrir et ses blessures apparaissent cicatrisées ; c'est un visage de compassion, sans colère ni désespoir. Les lèves entrouvertes sur les dents semblent souffler un "ah" de satisfaction, comme pour saluer une aube nouvelle. Cela correspond mal au visage du Christ tel qu'on peut l'imaginer durant le chemin de croix : visage souffrant, ensanglanté, tuméfié.
- le voile de Manoppello a été fabriqué avec du byssus ou "soie de marine" qui est composé de filaments tirés d'un mollusque appelé Pinna nobilis. Le byssus est un tissu extrêmement fin qui brille comme de la soie, d'une légèreté qui le rend presque impalpable. Ce byssus était utilisé dans l'antiquité, et spécialement en Israël, pour la confection des habits des grands prêtres et des personnages politiques de haut rang. Ainsi on voit mal sainte Véronique utiliser un tel tissu pour essuyer la face de Jésus, même par respect pour le divin Sauveur ; il aurait fallu un tissu plus épais compte tenu de l'usage qu'elle voulait en faire : essuyer la face de Jésus.
Le voile de Véronique un linge funéraire ?
Quant à la deuxième hypothèse, assimiler le voile de Véronique à un linge funéraire n'est pas non plus tenable en raison des solides arguments en faveur de la tradition, malgré un courant qui refuse toute valeur historique à l'événement de la 6ème station du chemin de la Croix. Le problème de l'historicité du voile de Véronique mérite qu'on lui consacre au moins un article de notre blog. Ce qui est prévu.
Le voile de Véronique au XIXe s.
Le voile de Manoppello et la Bienheureuse Catherine Emmerich
Il est intéressant de noter que la bienheureuse Catherine Emmerich, dans ses visions distingue trois types de linges funéraires lorsqu'elle décrit le sépulcre après la résurrection du Christ:
- "les linges déposés à terre étaient pliés",
- "les bandelettes ... étaient encore roulées sur le bord antérieur du sépulcre",
- "quant au suaire dont Marie avait entouré la tête de son fils, il était encore au lieu même où cette tête sacrée avait reposé".
Le premier correspond au linceul de Turin, et le dernier, qu'elle appelle suaire, au voile du Manoppello et à la coiffe de Cahors.
Le voile de Manoppello dont l'image a dû se former lors de la résurrection, ne peut être que le Suaire, le soudarion qui recouvrait la tête et le visage de Jésus-Christ, bien distinct des autres linges, le Linceul et les bandelettes que saint Jean retrouva "roulés à part" dans le sépulcre (cf Jn 20, 7-10).
Maria Valtorta et le voile de Véronique
Dans un message reçu le 22 février 1944, elle retranscrit des paroles du Christ : "... Puisque vous, ô rationalistes, ô individus tièdes à la foi vacillante ne procédez que par des examens arides, comparez le visage de la Veronica et celui du Suaire. L'un est le visage d'un vivant, l'autre celui d'un mort... Superposez les images ; vous verrez qu'elles correspondent" Lorsque Maria Valtorta a écrit cela, personne à l'époque n'avait évoqué les similitudes entre les deux images. Dans ce texte la Veronica ne semble être qu'un seul et même voile avec le Manoppello car cette correspondance parfaite suppose que le linceul et le voile furent en contact direct.
Mais Maria Valtorta, dans son oeuvre, rapporte bien l'épisode du voile de sainte Véronique durant le chemin de croix, et ce voile sur lequel se trouvait le visage de Jésus a été montré à Marie avant la résurrection. Par conséquent ce voile se distingue du voile de Manoppello posé sur le visage de Jésus dans le tombeau et au contact direct du linceul pour que les deux images puissent se superposer.
Il y a donc une certaine obscurité chez Maria Valtorta. Comment l'expliquer ? Rome n'aurait-elle pas possédé les deux voiles sans trop faire la distinction ? L'un n'est-il pas très endommagé, celui du chemin de croix, et ne serait-il pas à la Basilique Saint-Pierre dans le pilier-reliquaire de sainte Véronique ? L'autre ne serait-il pas à Manoppello ?
La cité de Manoppello (image wikipedia)
Voyages du voile de Manoppello
Il est intéressant de se demander comment ce voile a pu aboutir en Italie. La reconstitution historique des pérégrinations du voile de Manoppello dépend de l'identification avec le voile de sainte Véronique. Si l'on considère que ces deux voiles n'en font qu'un, celui-ci arrive à Rome dès le premier siècle, probablement après la mort de la Vierge Marie ou avec sainte Véronique. En 705, il y est encore puisque le pape Jean VII expose le saint Voile et le place dans la chapelle Saint-Pierre au Vatican. Vers les années 1190 ce voile est connu sous le nom de "Voile de sainte Véronique" ; Innocent III (1198 - 1216) lance le culte et la vénération du Voile du saint Visage et l'expose à Saint-Pierre. En 1506 commence les travaux d'agrandissement de la Basilique Saint-Pierre. Selon certains historiens, il disparait à cette époque sans qu'on sache la date exacte ni comment pour se retrouver à peu près à la même époque à Manoppello... Mais, cela suppose l'identification des deux linges, ce qui est loin d'être certain, comme nous l'avons dit. Cette explication serait valable seulement pour éclairer l'histoire du voile de sainte Véronique.
Mais grâce à d'autres sources historiques, une autre solution peut être avancée pour le voile de Manoppello dans la mesure où on le considère distinct du voile de sainte Véronique.
La bienheureuse Catherine Emmerich (image wikipedia)
Jérusalem et Byzance
Selon Catherine Emmerich saint Pierre emporta tous les linges sépulcraux lors de sa visite au tombeau le matin de Pâques. Ils auraient été donnés à la Très sainte Vierge Marie et à saint Jean, puis gardés par l'Eglise qui était à Jérusalem.
Au VIe s., un certain Arculfe, en pèlerinage à Jérusalem dit avoir vu " le suaire ayant recouvert la tête de Jésus". Des manuscrits byzantins du XIIe s. évoquent le sudarium qui recouvrait la tête de Jésus.
En 1201, Nicolas Mésritès, énumérant les reliques du Christ dans la chapelle du Pharos, cite "le soudarion avec les linges sépulcraux", distinguant donc bien, comme saint Jean, le Suaire du Linceul.
Le voile de Manoppello à Venise
Trois ans plus tard, lors du sac de Constantinople organisé par les Vénitiens, le Linceul fut dérobé par les Croisés, tandis que le soudarion était probablement emmené à Venise.
Selon un document de 1608, le premier qui en fait mention, le soudarion aboutit à Manoppello en 1506 apporté par un mystérieux pèlerin que l'on ne vit pas ressortir de l'église dans laquelle il était entré pour donner ce précieux voile à Giacom' Antonio Leonelli, docteur en physique, qui vivait à Manoppello. La fille de ce pieux laïc vendit le voile à un certain Donat' Antonio de Fabritiis, qui à son tour le donna en 1638 aux capucins de Manoppello qui sont toujours les dépositaires du précieux trésor.
Malheureusement cette date de 1506 parait douteuse pour un certain nombre de spécialistes ; ainsi Il est plus prudent de dire qu'il est arrivé à Manoppello entre 1506 et 1608.