Ce concile fut le premier qui aborde le problème de l'art sacré et des images religieuses ; dans les canons consacrés à ce sujet sont exprimés les principes fondamentaux de l'icône sacrée ; ainsi ils revêtent une grande importance pour comprendre ce qu'est une icône sacrée.
Le concile Quinisexte ou deuxième concile In Trullo
Ce concile se déroula en septembre 692 dans la salle In Trullo du palais impérial à Constantinople. Pour cette raison il est appelé parfois second concile In Trullo, le premier étant le troisième concile de Constantinople (6ème concile oecuménique) en 681. On lui a aussi donné le nom de Quinisexte, parce qu'il devait être le complément des cinquième et sixième conciles oecuméniques, qui furent seulement des conciles dogmatiques. Le concile In Trullo est avant tout un concile disciplinaire. Pour cette raison, il est regardé comme une simple continuation du sixième concile par les Orientaux.
Les Latins face au concile Quinisexte
Les latins n'ont jamais reconnu le caractère oecuménique de ce concile, et le pape Saint Serge 1er (687 - 701) refusa de ratifier les canons, d'autant plus que certains de ces canons touchent de très près à l'hérésie (can. 13, 30, 36, 55), car ils mettent Constantinople sur le même pied que Rome. Plus tard, Jean VIII (872 - 882) proposa un arrangement en acceptant tous les canons qui n'étaient pas en opposition avec la foi orthodoxe, avec les bonnes moeurs et les décrets de Rome.
Les canons concernant l'art sacré
Parmi ces canons acceptables, ils s'en trouvent trois qui traitent de la représentation du Christ :
canon 73 : le respect que nous devons à la sainte croix exige qu'on ne représente jamais sur le pavé l'image de la croix, afin que cette image ne soit jamais foulée aux pieds.
canon 82 : à l'avenir au lieu d'un agneau, on représentera dans les images la figure humaine du Christ.
canon 100 : les images inconvenantes sont prohibées. Quiconque en composera sera déposé.
L'Eglise orthodoxe présente ces canons avec tout un développement :
canon 73 :
"Etant donné que la croix vivifiante nous a apporté le salut, il convient que nous nous efforcions de toutes les manières de témoigner l'honneur dû à ce par quoi nous avons été sauvés de la chute antique. C'est pourquoi, lui montrant notre vénération dans la pensée, par la parole et dans le sentiment, nous ordonnons d'effacer complètement les image de la croix faites par certains à terre, afin que ce signe de notre victoire ne soit pas foulé par les pieds des personnes qui marchent. Nous ordonnons de priver de la communion ceux qui dorénavant traceront par terre la représentation de la croix."
canon 82 :
"Sur quelques peintures on trouve l'agneau montré par le doigt du Précurseur, cet agneau a été placé là comme type de la grâce, faisant voir d'avance pour nous, à travers la loi, l'Agneau véritable, Christ notre Dieu. Honorant assurément les figures, et les ombres en tant que symboles de la vérité et ébauches données en vue de l'Eglise, nous préférons la grâce et la vérité, en recevant cette vérité comme l'accomplissement de la loi. Nous décidons donc que désormais cet accomplissement soit marqué aux regards de tous dans les peintures, que soit donc érigé à la place de l'agneau antique, sur les icônes, selon son aspect humain, celui qui a ôté le péché du monde, Christ notre Dieu. Par cela nous comprenons l'élévation de l'humilité de Dieu le Verbe, et nous sommes conduits à nous remémorer Son habitation dans la chair, Sa passion, Sa mort salvatrice et, par là même, la délivrance qui en a résulté pour le monde."
Canon 100 :
"Que le regard des yeux soit droit. Garde ton coeur attentivement (Pr 4, 25), la Sagesse le prescrit. Car aisément les sensations corporelles s'introduisent dans l'âme. Nous prescrivons donc que les peinture trompeuses exposées aux regards et qui corrompent l'intelligence en excitant des plaisirs honteux - que ce soient des tableaux ou tout autres choses analogues - ne soient représentées d'aucune façon et si quelqu'un entreprend d'en faire, qu'il soit excommunié."
Icône de l'Annonciation du XIIème siècle
Du symbole à la réalité dans l'icône religieuse
Aux premiers siècles, où l'image directe du Seigneur était souvent et nécessairement cachée, l'image de l'agneau fut très répandue.
Le symbole de l'agneau jouait un très grand rôle dans l'art des premiers chrétiens ; il rappelait évidemment le sacrifice pascal de l'agneau. Mais maintenant que la réalité préfigurée par l'agneau était présente, il n'y a pas lieu de mettre en valeur outre mesure le symbole. Puisque c'est la Vérité qui est venue par Jésus-Christ, il ne s'agit plus de traduire en images une parole, mais de montrer cette vérité elle-même, l'accomplissement de la parole.
Le concile ordonne de remplacer les symboles de l'Ancien Testament et des premiers siècles chrétiens par la représentation directe de ce qu'ils préfiguraient ; il invite à dévoiler leur sens. L'image contenue dans les symboles vétérotestamentaires devient réalité dans l'incarnation. Puisque le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous, l'image doit montrer directement ce qui apparut dans le temps et devint ainsi accessible à la vue, à la représentation, à la description.
Dépasser la loi ancienne dans l'art sacré
Ainsi les symboles antiques sont supprimés parce que la réalité est rendue présente ; du coup le symbole n'a plus sa raison d'être. Les rites et cérémonies de l'ancienne loi sont dépassés, caduques et il faut rejeter toute spiritualité qui tendrait à faire revivre certaines cérémonies de l'Ancien Loi surtout celles qui symbolisent la venue future du Christ, car cela reviendrait à nier l'incarnation du Christ.
L'art sacré : histoire et gloire de Dieu
Le concile demande de ne pas représenter seulement les traits historiques du Christ, l'image sacrée doit rappeler aussi d'une manière ou d'une autre sa gloire, "l'élévation de Dieu le Verbe". Par conséquent la représentation du seul fait historique ne suffit pas pour qu'une image soit une icône sacrée. Par des moyens accessibles à l'art figuratif l'image doit nous montrer que celui qui est représenté est l'Agneau qui ôte les péchés du monde, le Christ notre Dieu. Si les traits historiques de Jésus, son portrait, sont le témoignage de la venue dans la chair, de l'abaissement, de l'humiliation de la divinité, la façon de représenter le Fils de l'homme doit refléter la gloire de Dieu.
De L'icône religieuse à l'icône sacrée
Le concile considère les symboles, comme n'exprimant pas la plénitude de la grâce, quoique digne de respect et ayant pu correspondre aux besoins d'une époque particulière. Le symbole iconographique n'est pas pour autant complètement exclu.
Le canon iconographique permet de juger si une image est une icône ou non. Il établit la conformité de l'icône à l'Ecriture sainte et définit en quoi cette conformité consiste, c'est-à-dire l'authenticité de la transmission de la révélation divine dans la réalité historique par des moyens que nous appelons le réalisme symbolique et qui reflètent réellement le royaume de Dieu.
Entre paganisme et judaïsme
Si le canon 82 est dirigé surtout contre ceux qui veulent maintenir les figures et les ombres de l'Ancien Testament selon la mentalité juive, le canon 100 est dirigé contre l'esprit païen : "les images inconvenantes sont prohibées". Cette règle montre que l'Eglise exige de ses membres une certaine ascèse non seulement dans la vie, mais aussi dans l'art.
Par le canon 82 l'Eglise répond aux attaques des Juifs de cette époque contre l'image chrétienne, et par le canon 100 elle écarte tout vestige de l'art hellénistique emprunt de sensualisme et de naturalisme.
La directive du concile, de montrer dans l'image "la gloire de la Divinité qui devient aussi celle du corps", comme dira plus tard saint Jean Damascène, rappelle qu'à l'époque la christologie était le sujet central des controverses théologiques.
Ce concile, et principalement le canon 82, est une étape importante dans l'élaboration de l'art de l'icône comme art d'incarnation, où le signifié ne doit pas être désigné mais manifesté à travers même le signifiant.
Toutes les possibilités figuratives de l'art convergent vers le même but : transmettre fidèlement une image concrète, véridique, une réalité historique et, par cette image historique, révéler une autre réalité, une réalité spirituelle et eschatologique.