L'Eglise a dû défendre à plusieurs reprises la légitimité du culte des images au VIIIe - IXe siècles contre les iconoclastes et au XVIe contre les protestants. Parmi les griefs formulés contre l'Eglise catholique, il y avait celui d'avoir falsifié les dix commandements de Dieu, qui interdisaient le culte des images. Ce problème nous concerne particulièrement compte tenu du nombre d'icônes religieuses présentes sur notre boutique en ligne. Que faut-il donc penser de cette falsification ?
Le décalogue selon le livre de l'Exode
Commençons par rappeler le décalogue selon la version donnée par le livre de l'Exode(Ex., XX, 1 - 17 ; cf aussi Deut. V, 6 - 21) :
Je suis le Seigneur ton Dieu qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude :
1 - Tu n'auras pas d'autres dieux devant ma face
2 - Tu ne te feras pas d'image taillée, ni aucune figure de ce qui est dans le ciel, sur la terre, ou dans les eaux.
3 - Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas.
4 - Tu ne prendras pas le nom du Seigneur ton Dieu en vain.
5 - Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier.
6 - Honore ton père et ta mère.
7 - Tu ne tueras pas.
8 - Tu ne seras pas adultère.
9 - Tu ne voleras pas.
10 - Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain
11 et 12 - Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni rien de ce qui lui appartient.
Les préceptes 2 et 3 sont clairs : les images sont prohibées.
La ronde des élus de Fra Angelico
10 ou 12 commandements ?
Cette version présente 12 commandements ; mais l'Eglise en a retenu une avec seulement 10 commandements. C'est justement à l'occasion de cette réduction que l'Eglise est accusée d'avoir supprimé la prohibition des images. Pourtant cette réduction se justifie puisqu'il est écrit au livre de l'Exode (ch. XXIV, v. 28) : le Seigneur "écrivit sur les tables les paroles de l'alliance, les dix paroles".
La réduction adoptée par l'Eglise catholique provient de saint Augustin. Ce Père de l'Eglise réunit le 2° et 3° dans le premier, car ils n'en sont que la conséquence. Saint Thomas justifie cette fusion de la manière suivante : « Le culte des faux dieux se manifestait chez les anciens de deux manières. Les uns, sans faire d’images, prenaient des créatures pour des divinités. Varron dit, en effet, que les anciens Romains furent longtemps à honorer les dieux sans leur dresser de statues. Voilà le culte qui est prohibé par ces paroles : "Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face". Mais chez d’autres peuples, les faux dieux étaient honorés sous forme d'images. Aussi est-ce à propos qu’on y interdisait d’abord la fabrication des images : "Tu ne te feras pas d’image taillée" ; et le culte de ces mêmes images : "Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas". »
Au sujet des deux derniers préceptes, le docteur angélique note que l’homicide faisant horreur et ne soulevant pas, de soi, les désirs, il suffisait que l’acte seul en fût condamné dans un commandement. Mais qu’il n’en est pas de même de l’adultère et du vol, lesquels ont la vertu de soulever les désirs. Aussi, en plus des deux préceptes condamnant l’acte de l’adultère et l’acte du vol, fallait-il deux nouveaux préceptes pour condamner le désir même de l’adultère et le désir du vol. D’où l'existence et la distinction des neuvième et dixième commandements.
Icône de Notre-Dame du Perpétuel Secours
l'Eglise catholique a-t-elle vraiment supprimé l'interdiction des images ?
A propos de cette division, les protestants reprochent à l'Eglise d’avoir bloqué les trois premiers préceptes en un seul commandement, et à la faveur de ce blocage, d’avoir supprimé le deuxième (et le troisième) précepte : Tu ne feras pas d’image taillée. De cette manière l’Eglise pouvait garder le culte des images, qui, au dire des protestants, serait nettement contraire à la loi de Dieu, puisqu'ils sont condamnés par ces deux préceptes, en tant que pratique idolâtrique. Mais le concile de Nicée en 787 et, à sa suite, le concile de Trente en 1563, définissent que les images saintes peuvent être honorées parce que l’honneur qui leur est rendu passe aux prototypes qu’elles représentent ; en cela il n'y a pas d'idolâtrie.
Pour bien comprendre cette querelles autour des images, il faut rappeler que les préceptes mosaïques relatifs aux images a été compris en deux sens différents :
- un sens anti-idolâtrique qui est chrétien,
- un sens iconoclaste qui est manichéen.
Icône du Sacré-Coeur
Le sens anti-idolâtrique attribué aux préceptes du décalogue
Ce sens est celui de la Bible et de l'Eglise : Il ne faut pas faire d’image taillée pour qu'elle soit une idole. Il ne faut pas se prosterner devant des idoles.
Où le danger d’idolâtrie est fatal, il ne faut pas faire du tout d’image taillée. De telles situations peuvent se rencontrer. Mais pas dans le peuple chrétien comme tel, qui a été délivré de la tyrannie de l’idolâtrie le jour où le Verbe s’est fait chair pour révéler au monde la transcendance absolue de la Trinité Sainte, Père, Fils, Esprit. « Au sixième âge du monde, dira saint Thomas d’Aquin, l’idolâtrie est exclue par la vertu et la doctrine du Christ, qui a triomphé du démon » Chose merveilleuse, c’est en se faisant chair que Dieu a guéri son peuple de l’idolâtrie.
Aussi est-ce en regardant le crucifix que nous tuons une nouvelle fois chaque jour dans notre cœur les germes de l’idolâtrie. « Ne ferai-je donc pas, dit saint Jean Damascène, l’image de Celui qui, à cause de moi, a été vu dans la nature de la chair ? » Alors, dit-il au même endroit, s’il y a faute à faire des images, le premier coupable est Dieu qui a fait l’homme à son image et qui en plus s’est incarné !
Ainsi, avec la nouvelle Alliance le risque d'idolâtrie avec les images est devenu quasi inexistant, par conséquent il n'est pas nécessaire d'insister autant que dans l'Ancien Testament. L'expérience des vingt siècles de l'Eglise confirme tout cela.
L'Eglise condamne toujours cet usage idolâtrique des images, mais ce n'est pas de cette manière qu'elle fait usage des icônes religieuses.
Les protestants ont raison de condamner le culte idolâtrique des images. En cela nous sommes d'accord avec eux. Mais ils se trompent en affirmant que la manière dont l'Eglise vénère les images est une pratique idolâtrique.
Icône de la Vierge à l'Enfant
Le sens iconoclaste attribué aux préceptes du décalogue
Cette compréhension condamne non seulement l'adoration des images, mais aussi la vénération telle que l'Eglise la pratique. En fin compte cette erreur est un certain manichéisme, qui considère que tout ce qui est sensible est mauvais. C’est toute l’économie sensible de l’Incarnation qu’on est en train de méconnaître. Dans ce débat, comme ailleurs, c’est finalement du Christ dont il s’agit, du Christ Dieu consubstantiel au Père selon sa nature divine, et consubstantiel aux hommes selon sa nature humaine.
Ainsi l’Eglise répudie et répudiera toujours le sens iconoclaste que certains semblent découvrir dans les préceptes mosaïques. Elle ne voit là qu’une erreur anti-biblique, anti-traditionnelle et anti-humaine.
L'interdiction des images est une erreur anti-biblique
L’Ancien Testament n’interdit que les idoles mais il autorise, loue, et même prescrit les représentations plastiques, dès qu’elles cessent de servir à l’idolâtrie. Dieu ordonne à Moïse de faire des chérubins d’or battu qu’il posera sur l’arche (Ex., xxv, 17-21 ; Nombres, vu, 89).
La prohibition des icônes religieuses est une erreur anti-traditionnelle
Nous ne voulons pas dire qu’on ne pourrait, surtout avant la définition de l’Eglise, glaner çà et là, dans l’histoire ecclésiastique, quelques textes favorables aux iconoclastes et qui, dans bien des cas, pourraient s’expliquer par l’examen des circonstances. Nous voulons dire que le grand fleuve de la doctrine traditionnelle est contraire à l’erreur iconoclaste et manichéenne.
« Ce n’est pas sans raison, avait écrit le Pape saint Grégoire le Grand, que l’antiquité a permis de peindre dans les églises la vie des saints. En défendant d’adorer ces images vous méritez l’éloge ; en les brisant vous êtes dignes de blâme. Autre chose est d’adorer une image, autre chose d’apprendre par le moyen de l’image à qui doivent aller nos adorations. Or, ce que l’écriture est pour ceux qui savent lire, l’image l’est pour ceux qui ne savent pas lire. Par les icônes religieuses, les ignorants s’instruisent de ce qu’ils doivent imiter ; elles sont le livre de ceux à qui l’écriture est inconnue. »
L’erreur iconoclaste est de plus antihumaine
S’il est permis d’user d’images littéraires et poétiques pour parler des mystères de Dieu, il sera permis, au même titre, d’user d’images picturales : elles sont, elles aussi, un langage. Mais si l’on proscrit les dernières, il faut proscrire également les premières, et ne plus chercher à traduire en langue d’imagination la vérité sur Dieu. Alors c’est le mutisme et la fin de tout apostolat.
Panneau central du polyptyque de l'Agneau Mystique