Cette année la solennité du Sacré-Coeur tombait le 28 juin ; selon la forme ordinaire l'Evangile était la parabole de la brebis perdue en saint Luc (Lc 15, 3-7) ; dans la forme extraordinaire, cette parabole est lue à la messe du dimanche qui suit la solennité du Sacré-Coeur, c'est-à-dire le troisième dimanche après la Pentecôte.
Selon la forme ordinaire les autres lectures de la messe étaient : Ez 34, 11-16 ; Rm 5 , 1-11.
Voici l'homélie prononcée pour cette solennité à l'abbaye.
Le Bon Pasteur dans l'Evangile de saint Luc
C’est saint Luc qui nous donne le plus de détails lorsqu’il relate la parabole de la brebis perdue : le bon Pasteur la ramène sur ses épaules, il partage sa joie avec les voisins. Ce sont des circonstances qu’on ne trouve pas dans saint Matthieu. C’est à bon droit que l’Evangile de saint Luc est appelé l’Evangile de la miséricorde. Alors que saint Mathieu s’en tient au récit de la brebis égarée, saint Luc ajoute les paraboles de la drachme perdue et de l’enfant prodigue. Les trois paraboles de la miséricorde sont donc au complet.
L'iconographie du bon Pasteur
L’iconographie chrétienne des premiers siècles représente le Christ en bon pasteur portant sur ses épaules la brebis perdue. On trouve ces représentations sur les fresques des catacombes, sur les bas reliefs des tombeaux, mais aussi sur le dos des patènes. C’est dire que depuis l’origine du christianisme cette parabole a beaucoup frappé les esprits. A tel point qu’on y a vu l’essence du message chrétien. Saint Grégoire résume ainsi toute la mission de Jésus : « Il a mis la brebis perdue sur ses épaules car, en assumant la nature humaine il s’est chargé lui-même de nos péchés » (Jn Evangelia homiliæ, 2, 14). Quand il quittait le prétoire chargé de sa croix, il portait sur ses épaules la brebis retrouvée !
La folie du Bon Pasteur
Ce qui frappe particulièrement dans cette parabole, c’est le côté irrationnel du pasteur qui préfère laisser seules et sans pasteur, 99 brebis dans le désert pour aller chercher celle qui s’est égarée. Il y a quelque chose de déraisonnable dans l’attitude de ce berger. Son amour pour cette brebis qui a quitté le troupeau devient fou. Le pasteur évidemment représente le Christ, cela nous fait toucher du doigt combien Jésus nous aime à la folie.
L'amour du Sacré-Coeur, un amour sans limite
Si l’on voulait cumuler l’intensité des amours les plus forts et les plus passionnés qui existent sur terre, en additionnant celui de tous les fiancés pour leur fiancée, de toutes les mères pour leurs enfants, de tous les maris pour leur épouse, tous ces amours, aussi véhéments soient-ils, ne sont rien en comparaison de l’amour de Jésus pour les hommes. Cette parabole veut donc nous faire comprendre que l’amour du bon Pasteur emporte tellement son cœur qu’il en vient à faire des choses vraiment déraisonnables. En effet, n’est-ce pas imprudent encore une fois de laisser tout le troupeau sans protection au risque qu’il soit la proie du loup et tout cela pour une seule brebis ! C’est un amour qu’on ne peut comprendre ; Il surpasse, comme dit saint Paul, toute connaissance (cf. Ep 3, 19). A tel point qu’il va « jusqu’à donner sa vie pour les coupables » (Ro 5, 6), comme nous l’avons entendu dans la seconde lecture : « Accepter de mourir pour un homme juste c’est déjà difficile » (Ro 5, 7). Mais Jésus « est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs » (Ro 5, 8). « Il n’est pas juste de réserver un amour aussi grand à qui le mérite le moins » (Cardinal Vanhoye) et pourtant Jésus l’a fait !
Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis
Ezéchiel, dans la première lecture, nous dit que le Seigneur poursuit les brebis perdues pour les « délivrer jusque dans les endroits où elles ont été dispersées ». C’est ce que ne comprennent pas les pharisiens. Juste avant la parabole, l’Evangile nous dit que « les publicains et les pécheurs s'approchaient de Jésus pour l’entendre et les Pharisiens et les scribes murmuraient : “Cet homme, fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux !” » (Lc 15, 1 - 2). Et ils s’en scandalisaient. Pour eux, il faut nécessairement être pur pour être aimé ; les pécheurs n’ont droit qu’au mépris et il ne faut pas les fréquenter. Mais Jésus ne l’entend pas ainsi car il sait aimer autrement, il sait aimer par miséricorde. Il sait donner son amour à ceux qui n’y ont plus droit. Quand on se rappelle tous les voyages apostoliques de Jésus, souvent sous un soleil de plomb, provoquant la soif et des fatigues harassantes et le soir il ne savait pas où reposer sa tête, on comprend mieux quel prix il a mis pour sauver les pécheurs. Voilà cet amour qui a conduit Jésus à la Croix et dont nous ne pouvons pas concevoir « la largeur, la longueur et la hauteur » (Ep 3, 18) ! « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 13) !
Coeur de Jésus, Coeur broyé à cause de nos péchés
On comprend dès lors le choix qu’a fait la Sainte Eglise de la parabole de la brebis perdue pour la fête du Sacré-Cœur. Aujourd’hui nous sommes invités à honorer et à adorer le Cœur du Christ. Le mot “adorer” n’est pas trop fort car ce Cœur est intimement uni à la divinité. Ce Cœur qui a été traversé par toutes sortes d’émotions et de passions. Les passions, nous dit saint Thomas, ont leur siège à la fois dans l’âme et dans le corps. Et c’est toute l’humanité du Christ qui a été intimement unie à sa divinité. Dans son cœur physique, Jésus a ressenti la compassion en voyant la foule qui avait faim avant la multiplication des pains, mais aussi à la vue de Jérusalem, il a éprouvé de la tristesse : « combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière d’une poule qui rassemble ses poussins sous ses ailes..., et tu n’as pas voulu » (Mt 23, 37) ! En disant cela, son Cœur en a été affecté, tellement la tristesse l’a ému. Au jardin des oliviers devant l’imminence de sa Passion, Jésus a éprouvé de l’angoisse ; et elle a resserré son Cœur comme dans un étau.
Le Sacré-Coeur, icône de la Miséricorde
Aujourd’hui nous compatissons à toutes ces souffrances de Jésus. Et nous cherchons à réparer nos ingratitudes.
Ce qui lui fera le plus plaisir c’est de nous jeter dans les bras de sa miséricorde, comme nous y invite le Pape François : « Notre époque a besoin de la miséricorde parce que c’est une humanité blessée, une humanité qui porte de profondes blessures (...). Il y a plus d’un demi-siècle, Pie XII disait que le drame de notre époque était d’avoir perdu le sens du péché, la conscience du péché. A cela s’ajoute aujourd’hui le fait, dramatique, de considérer notre maladie, notre péché, comme incurable, comme quelque chose qui ne peut être ni guéri, ni pardonné (en effet, que de gens aujourd’hui sont convaincus que le péché est inévitable parce qu’ils ne croient plus à la toute puissance de la prière et de la grâce). Ce qui fait défaut, c’est l’expérience concrète de la miséricorde. La fragilité des temps où nous vivons, c’est aussi cela : croire qu’il n’existe aucune possibilité de rachat, une main qui t’aide à te relever, une étreinte qui te sauve, te pardonne, te soulage, t’inonde d’un amour infini, indulgent, et te permet de reprendre la route. Nous avons besoin de miséricorde » (le nom de Dieu est miséricorde, Robert Laffont 2015, p. 37-38).
Que Notre-Dame du Sacré-Cœur nous ouvre toujours davantage la porte du Cœur de son Fils pour bénéficier toujours plus de sa miséricorde.