Dès l’apparition de l'Histoire d’une Ame, les missionnaires comprirent quelle dévouée auxiliaire le Ciel leur donnait en la personne de la future sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus.
Sainte Thérèse vers l’Extrême-Orient
Le Séminaire des Missions Etrangères de Paris fut des premiers à saisir l’importance de ce don. L’un des aspirants en donnait l’assurance au Carmel de Lisieux, en ces termes :
« C’est comme par miracle que j’ai eu le bonheur de connaître la vie de Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus. Je l’ai lue et relue et fait lire à plusieurs de mes frères du Séminaire. Tous m’en ont remercié de tout cœur et me prient de leur en procurer un exemplaire. Quant à moi, ce n’est pas un, mais plusieurs qu’il me faudrait, car il me tarde de faire partager à plusieurs de mes amis le bonheur que j’ai éprouvé moi-même en dévorant ces pages, où l’on respire le plus pur amour divin. En tous cas, je ne voudrais pas quitter le Séminaire et m’embarquer pour l’Extrême-Orient sans emporter avec moi un livre aussi précieux, surtout au moment des angoisses et des luttes intimes, dont bien souvent le pauvre missionnaire n’est pas plus exempt que le reste de ses frères en N.-S. »
Un Père jésuite français, Recteur d’un collège en Chine, faisait savoir : « combien est appréciée ici la vie de Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus. Pour ma part, j’y trouve une manne fort appropriée à mes besoins spirituels, et je ne suis pas seul. Mirabilis Deus in sanctis suis! »
Sainte Thérèse à Constantinople
Avec quelques passages d'une correspondance, échangée entre le Carmel de Lisieux et les rives du Bosphore, dès l’année 1899, on verra comment la Petite Sainte y avait déjà fait une large percée. Le Couvent des Pères Capucins de Constantinople en fut le point de départ. Le Supérieur, le R. P. Laurent, écrivait donc:
« J’ai lu, il y a quelques semaines, — je renonce à vous dire avec quel profit et quelle pieuse émotion — la vie de votre angélique Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus. J’en ai l’âme encore tout embaumée, comme d’un parfum du Ciel.
Le volume ne devant pas me rester, j’en ai copié le plus de pages possibles, prose et poésies. Mais, ce que je n’ai pu détacher du livre, c’est la photographie placée en tête de l’ouvrage et qui reproduit si heureusement la physionomie de cette âme toute rayonnante du saint amour.
Serait-il indiscret, ma Révérende Mère, de vous exprimer à ce sujet un désir qu’une austère Carmélite trouvera sans doute bien enfantin de la part d’un capucin... et qui plus est... d’un capucin à barbe grise ! N’auriez-vous pas quelques exemplaires détachés de cette gravure, si propre à impressionner l’âme en charmant le regard ? Oh! comme j’aimerais à en avoir une devant les yeux, pour réchauffer un peu mon pauvre cœur réduit à habiter une sorte de Laponie spirituelle ! Comme je souhaiterais, de même, faire connaître ainsi cette âme de feu à nombre de jeunes filles, dont j’ai la conscience entre les mains, et que rien ne réussit à sortir de leur apathie morale : ni fermeté, ni condescendance. Je m’imagine que si votre petite Sainte daignait mettre la main à cette cause, bientôt on aurait à raconter des merveilles.
Je vous avoue, ma Révérende Mère, que je serais tenté de jalouser les deux missionnaires qui bénéficièrent, à titre de frères d’armes, du crédit de cette âme séraphique auprès de Dieu, si elle n’avait déclaré que ses conquêtes ne commenceraient qu’après sa mort. Sur cette garantie, j’essaie de me perdre dans la foule de ses clients, avec l’espoir qu’elle saura deviner mon extrême misère et daignera me prendre tout spécialement en pitié. »
Du même, quelques semaines plus tard :
« C’est la veille de Noël que m’est arrivée votre Histoire d’une Ame. Quelle délicieuse veillée notre Petite Reine a fait passer, non seulement à votre serviteur, mais aussi à un pieux confrère, non moins que moi attiré par les parfums de cette âme angélique. Nous étant installés coude à coude à une table, en face de notre précieux volume, nous nous délections à la lecture de ces stances si spontanées, si abondantes et si doctrinales, de ces vers, aussi classiques que gracieux, dont chacun semble s’échapper comme un rayon lumineux d’une fournaise d’amour.
Ah ! puissent quelques-unes de ces étincelles allumer un immense incendie dans cette ville où les pauvres âmes s’attachent à tout, excepté aux biens spirituels. Je me promets bien de faire tout ce qui dépend de moi pour, y aider notre chère Petite Reine. »
Toujours au bord des rives du Bosphore
Le même zélateur reprenait la plume un mois après :
« Me voici de nouveau, pour vous demander notre troisième douzaine de volumes, car notre chère petite Sainte a fait déjà d’heureuses et rapides conquêtes. Je ne sais vraiment où s’arrêtera cet élan d’enthousiasme pour elle ; mais je dois vous dire que je ne suis pour rien dans tout cela, si ce n’est que la chère Sainte veut bien m’employer comme simple secrétaire, ce dont je me sens aussi joyeux qu’honoré. Puissé-je m’acquitter de mon humble rôle assez à son gré pour qu’elle ne me notifie pas de longtemps mon congé ! A mesure, du reste, qu’elle me tient davantage à ses ordres, il me semble qu’elle met aussi fréquemment la main aux travaux de mon ministère pour m’y ménager quelques consolations. C’est ainsi que je crois devoir attribuer à sa douce et féconde influence d’avoir vu poindre à l’horizon, la veille de la Purification, plusieurs vocations religieuses. »
Le compagnon du R. P. Laurent, auquel il a fait allusion dans cette correspondance, écrivait à son tour à Lisieux :
« Notre bon et saint Père Laurent, notre Supérieur, qui s’en va en France, m’a chargé, avant son départ, de vous envoyer les 24 francs ci-inclus pour huit exemplaires de la vie de votre Sainte Sœur Thérèse. Une personne pieuse (celle qui, la première, a acheté cette vie ici et nous l’a fait connaître) fait volontiers cette dépense afin que vous ne supportiez pas seules la perte des vingt-et-un volumes qui se sont égarés. Je disais au Père Laurent que le diable s’était mêlé de cette affaire, et j’en suis encore persuadé, car il doit enrager de voir le bien que fait cette Vie. Je l’ai lue et relue plusieurs fois sans lassitude et toujours avec un nouveau plaisir. Je puis vous dire avec le Père Passionniste dont vous avez la lettre : « Mes forces, je veux « les ranimer aux énergies de sa vertu et réchauffer mon cœur aux flammes de ce « séraphin ». Séraphin, elle l’était de visage et d’âme, et l’on peut dire d’elle ce que Saint Bonaventure dit de Saint François : qu’elle était tout entière un charbon embrasé. L’âme de Sœur Thérèse est un brandon très ardent de l’Amour divin, une pure flamme du Paradis dont jamais l’ardeur ne s’est ralentie, et qui a embrasé et embrasera bien d’autres cœurs. Et cela avec quelle force et en même temps quelle douceur; on peut dire d’elle, en vérité, avec un petit changement du texte sacré: « Elle nous entraîne et nous courons à l’odeur de ses parfums ».
Même si ces textes ont la marque de leur temps (vers 1900) qu'on peut ne pas apprécier, il est intéressant de voir comment, très simplement et d'une manière irrésistible, l'histoire d'une âme se répandait comme un feu parmi des herbes sèches.
Le bien que faisait sainte Thérèse au début du XXe s. par son Histoire d'une âme, elle peut le faire encore aujourd'hui si nous avons la foi et la confiance !