L'iconoclasme : une guerre doctrinale ou politique ?
certains historiens assignent à l'origine de l'iconoclasme des raisons politiques, économiques et sociales. Mais cette manière de voir est contraire à l'examen impartial des documents de l'époque, des écrits apologétiques des deux partis, des actes des conciles et de leurs décisions.
L'iconoclasme a essentiellement un caractère doctrinal, même si le pouvoir politique s'en est mêlé. L'iconoclasme a commencé avant que l'état ait pris ouvertement parti en sa faveur et il continua même après que l'état soit devenu hostile à cette hérésie.
Le début de l'iconoclasme
Tout a commencé vers 726 avec la venue à Constantinople d'évêques hostiles au culte des images. Ils influencèrent l'empereur Léon III l'Isaurien qui prit ouvertement position contre la vénération des icônes. En 730 l'empereur publia un décret interdisant la vénération des icônes. Mais saint Germain, le patriarche de Constantinople (715 - 730), refusa de signer le décret impérial. Du coup, il fut déposé et remplacé par un iconoclaste, le patriarche Anastase, qui accepta le décret déjà signé par l'empereur. A partir de ce décret on commença à détruire partout les icônes. Mais ce ne fut pas sans une vive réaction de la part du peuple qui se souleva ici et là. Il eut alors les premiers martyres et confesseurs. On commença à exiler les évêques orthodoxes (c'est-à-dire de bonne doctrine, favorables aux images saintes), à persécuter les fidèles en leur faisant souvent subir la torture ou la mort. Cette lutte dura environ cent ans et se divisa en deux périodes : de 730 à 787 et de 813 à 842.
La première persécution iconoclaste (730 - 787)
Toute hérésie ne peut se développer ou se maintenir que grâce à la bienveillance ou au soutien de l'autorité politique. C'est à peu près une constante de l'histoire. En l'occurrence, l'empereur d'Orient Léon III, homme despotique et brutal, ne se contenta pas de laisser faire, il prit fait et cause pour l'iconoclasme arguant dans une lettre au pape Grégoire II : "je suis empereur et prêtre". Dans ces conditions l'ingérence de l'état dans les affaires ecclésiastiques n'est pas surprenante. Nous sommes en plein césaropapisme pour le malheur de l'Eglise et des âmes. Mais en Occident, le pape Grégoire II résista ouvertement à la nouvelle hérésie. En 727 il convoqua à Rome un concile où il réaffirma la légitimité du culte des images. La plus grande partie de l'Italie se souleva contre l'empereur et se rangea du côté du pape. Son successeur Grégoire III, grec d'origine, convoqua en 731 un nouveau concile à Rome qui décida "A l'avenir quiconque enlèvera, anéantira, déshonorera, insultera les images du Seigneur, celle de sa sainte Mère, ou des apôtres, etc... ne pourra recevoir le corps et le sang du Seigneur et sera exclu de l'Eglise". C'est l'excommunication des iconoclastes.
La lutte pour ou contre les icônes, qui fit rage en Orient et en Occident, se concentra surtout dans l'Eglise de Constantinople. Les autres patriarches d'Orient se trouvaient alors sous la domination musulmane et ne connaissaient pas les persécutions systématiques qui sévissaient dans l'Empire byzantin.
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Le paroxysme de la persécution avec Constantin Copronyme
A l'empereur Léon III, succéda son fils Constantin Copronyme (741 - 755) ; il était encore plus violemment iconoclaste que son père, et les trois patriarches qui se succédèrent sous son règne lui étaient absolument soumis. L'empereur écrivit un traité contre la vénération des icônes et réunit un concile en 754 qui comprenait 338 évêques, tous iconoclastes, car les évêques fidèles à l'enseignement de l'Eglise avaient été déposés.
A l'issue du concile, l'anathème fut jetée sur les générateurs des icônes et sur les confesseurs de l'orthodoxie, saint Germain, saint Jean Damascène et saint George de Chypre. On exigea du peuple croyant un serment de fidélité à l'iconoclasme, et les persécutions, après le concile, devinrent particulièrement cruelles.
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Conséquences de la persécution
Malgré la violence de la persécution le peuple chrétien resta fidèle à la vénération des icônes. A l'avant-garde des confesseurs de la vraie foi, se trouvaient les moines. Les persécuteurs s'acharnèrent contre eux et les contraignirent ainsi à émigrer en masse, surtout en Italie, à Chypre, en Syrie et en Palestine. Parmi ces moines il y avait beaucoup d'iconographes et se fut une bénédiction pour l'Eglise de Rome qui connut à cette époque une grande fécondité en oeuvres d'art sacré. Tous les papes qui se succédèrent sous le règne de l'empereur Constantin Copronyme se montrèrent fermes dans la défense de la vénération des images.
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Vers une accalmie
Avec la mort de Copronyme les persécutions diminuèrent de violence, car son fils Léon IV était un iconoclaste modéré et assez indifférent. A sa mort en 780, son épouse Irène montra sur le trône avec son fils mineur Constantin. Fidèle dans la défense du culte des icônes, elle fit cesser les persécutions et rétablit la foi orthodoxe. Après quelques difficultés, elle put réunir le VIIème concile oecuménique à Nicée en 787. Le concile rétablit la vénération des icônes et des reliques et prit une série de mesures pour le rétablissement de la vie normale dans l'Eglise. Mais le parti adverse n'accepta pas la vérité solennellement proclamée ; et 27 ans après, à la faveur d'un nouvel empereur Léon V, la persécution reprit.
Icône de l'Annonciation
La deuxième persécution iconoclaste
Léon V l'Arménien (813-820) trouva que les empereurs iconoclastes avaient eu plus de chance politique et militaire que les empereurs orthodoxes. C'est pourquoi il décida de revenir à l'iconoclasme. Encore une fois l'état se rendait coupable d'une ingérence indue en matière ecclésiastique, mais l'empereur ne trouvait plus dans l'épiscopat un soutien aussi fort que lors de la première persécution.
Dans un premier temps l'empereur chercha un compromis avec le patriarche de Constantinople, saint Nicéphore (810-815) ; mais ce dernier refusa tout compromis et il fut aider dans sa résistance par saint Théodore Studite et ses moines. L'empereur se décida à relancer la persécution contre les défenseurs du culte des images et exila le patriarche en 815. Elle fut aussi violente que la première : de nouveau on martyrisa les orthodoxes, on détruisit les icônes, les livres, les vases sacrés portant des images. L'iconoclasme était enseigné dans les écoles et figurait dans les manuels.
Avec son successeur Michel II (821-837) survint une accalmie. Mais à sa mort son fil Théophile reprit les persécutions. Lorsque lui-même décéda en 842, il laissait un fils mineur et sa veuve Théodora assura la régence. Ce fut la fin de la persécution et le triomphe définitif de l'orthodoxie. Un concile se tint à Constantinople en 842 sour patriarche saint Méthode (842-846). Ce concile confirma le dogme de la vénération des icônes formulé par le septième concile oecuménique de Nicée (787), jeta l'anathème contre les iconoclastes et établit en mars 843 la célébration du triomphe de l'orthodoxie le premier dimanche de Carême avec l'exaltation des icônes dans toutes les églises.
Les iconoclastes n'étaient pas pour autant ennemis de l'art mais au lieu du Christ, de la sainte Vierge et des saints, ils ornaient les églises de formes purement décoratives et de sujets profanes, de paysages, de représentations d'animaux. L'art iconoclaste était à la fois un retour aux source hellénistiques et un emprunt à l'Orient musulman.
L'Eglise de Rome durant la deuxième persécution iconoclaste
L'Eglise de Rome en tant que Mère de toutes les Eglises et gardienne de la foi ne pouvait que défendre et propager les images sacrées. Les papes contemporains de cette second persécution iconoclaste marchèrent dans les pas de leurs prédécesseurs. De plus, en réaction des violences des iconoclastes orientaux, les Occidentaux exaltèrent le culte des saints et de leurs reliques. Ainsi en 835, le pape Grégoire IV décréta que la fête de tous les saints instituée par Grégoire III serait célébrée par la chrétienté tout entière le 1er novembre. En France elle fait partie des quatre fêtes religieuses chômées. C'est à l'époque de l'iconoclasme que les reliques de nombreux saint furent transportées en France : les reliques de Saint Guy en 751, celles de saint Sébastien en 826 à Saint-Médard de Soissons, celles de de sainte Hélène en 840 à Hautevilliers près de Reims.
Au point de vue historique cette persécution iconoclaste eut d'importantes conséquences : lorsque les Lombards menacèrent Rome, le pape, plutôt que de demander secours à un empereur iconoclaste, s'adressa à Pépin le Bref qui, après avoir sauvé Rome des barbares, fit donation au Pape de tout un territoire temporel, ce fut le commencement de l'Etat pontifical.
Du point de vue religieux, cette hérésie iconoclaste eut finalement d'heureuses conséquences, car elle permit d'approfondir la théologie de l'icône, de mieux comprendre le bien fondé de la vénération des saintes images et de mieux en vivre. Nous verrons cela dans un prochain article.