La procédure de canonisation actuellement en vigueur dans l'Eglise est le fruit d'une longue évolution. Dans les premiers siècles de l'Eglise, il en était bien autrement. Par conséquent, en parlant de la canonisation de saint Benoît, il faut éviter tout anachronisme. Il faudrait plutôt parler de culte public rendu au saint que de canonisation. Ce mot ne date que du XIIe s.. Pour répondre à la question Quand saint Benoît a-t-il été canonisé ? ou Quand un culte public lui a été rendu ? il faut rappeler l'histoire du culte des saints dans les premiers siècles de l'Eglise.
Le culte des saints dans la primitive Eglise
Le premier culte rendu aux saints fut celui des martyrs. Les fidèles recueillaient et vénéraient les reliques de ces héros. Les prêtres célébraient les saints mystères sur les autels élevés sur leur tombeau. Ce fut la plus ancienne et la plus simple forme de la canonisation. Elle fut en vigueur durant les siècles de la persécution.
Les anniversaires des martyrs remontent au IIe s.. La célébration d'une solennité ecclésiastique en l'honneur des martyrs devient d'un usage universel. Ces anniversaires étaient des fêtes locales. Mais personne ne pouvait rendre un culte public à un martyr sans l'approbation de l'évêque ni avant que le martyre n'eût été prouvé.
L'universalisation du culte des martyrs
Assez rapidement les saints les plus célèbres furent fêtés ailleurs que dans leur patrie. Par des lettres circulaires ou encycliques, certaines Eglises se communiquaient les actes de leurs martyrs respectifs et ces lettres circulaient de proche en proche, répandant ainsi partout la vénération. C'était un encouragement et une prédication salutaire pour les fidèles.
Début du culte des confesseurs
Tant que les persécutions durèrent, seuls les martyrs étaient honorés d'un culte. Ce n'est qu'à partir du IVe s. que les canonisations s'étendirent à ceux qui, n'ayant pas versé leur sang pour la foi, s'étaient néanmoins illustrés par des vertus éminentes.
Ce culte public des confesseurs commença avec les premiers solitaires, les Pères de la vie érémitique : saint Paul premier ermite, saint Antoine le grand, saint Hilarion. Un concile provincial de Tours, tenu en 461, parle de la fête de saint Martin comme d'une solennité depuis longtemps en usage.
Rôle des évêques dans le culte des saints
Encore plus que pour les martyrs, le jugement officiel de l'autorité ecclésiastique sur la sainteté du confesseur était requis avant qu'un culte public puisse être rendu. Ainsi dans leurs diocèses respectifs et après une sérieuse enquête juridique, les évêques décernaient aux serviteurs de Dieu les honneurs d'un culte public. A ce stade on était plus au niveau de la béatification que de la canonisation.
Par analogie avec ce qui se pratiquait pour les martyrs, dont les actes étaient transmis d'une Eglise aux autres afin que leur culte s'étendit, le récit des vertus héroïques des confesseurs et de leurs miracles était envoyé aux diocèses voisins, et de là se propageait plus loin encore.
Chant grégorien office de saint Benoît
Translation du corps et récit de la vie
Avant le XIe s. l'introduction d'un nouveau culte consistait habituellement dans l' "Elevatio" du corps ou translation, c'est-à-dire, dans la déposition nouvelle dans un tombeau d'autel, accompagnée de la rédaction d'une Vie. C'est à cet usage qu'on doit la plus grande partie des vies de saints écrites au Moyen-Âge.
Changement de procédure pour la canonisation
Cette manière de faire dura environ jusqu'au XIe s.. Mais, les abus qui s'introduisirent, amenèrent les papes à enlever aux évêques la faculté de décréter des canonisations et à se les réserver. La première mention expresse et officielle de cette réserve se trouve dans une constitution d'Alexandre III (1170). Pour être précis, les évêques n'ont jamais vraiment eu le pouvoir de canoniser, car commander que quelqu'un soit honoré d'un culte public et tenu comme saint dans l'Eglise universelle ne saurait appartenir à des prélats qui n'avaient qu'une juridiction limitée dans un diocèse, une province. Les évêques n'eurent jamais d'autre faculté que celle de béatifier, c'est-à-dire, d'émettre un premier jugement et de décréter une canonisation toute particulière dans leur diocèse. Ce droit leur fut enlevé par les pontifes romains, entre autre, par Alexandre III.
Le décret d'Urbain VIII
La décrétale d'Alexandre III réservait réellement au souverain pontife le droit de béatifier les serviteurs de Dieu ; mais elle ne fut pas comprise dans un sens rigoureux par tous les évêques. La controverse à ce sujet ne fut définitivement tranchée que par les décrets d'Urbain VIII du 13 mars et du 2 octobre 1625. Depuis il est incontestable que le pouvoir de canoniser et même de béatifier est tellement réservé au souverain pontife qu'il n'appartient en aucune façon aux évêques, archevêques, ni au Sacré-Collège, ni même aux conciles généraux pendant la vacance du Saint-Siège.
Lors des obsèques de saint Jean-Paul II, la foule scandait "Saint tout de suite", mais c'était impossible car personne n'en avait le pouvoir : le Saint-Siège était encore vacant.
Icône de saint Grégoire le Grand
Saint Benoît et saint Grégoire le Grand
Ce que nous savons sur la vie de saint Benoit, nous le devons essentiellement à saint Grégoire le Grand, né en 540, 7 ans avant la mort du Patriarche des moines d'Occident. En 590 il monte sur le siège de Pierre et en 593 il écrit ses Dialogues dans lesquels sont racontés la vie et les miracles de saint Benoît. Dans ce récit saint Grégoire donne quelques détails sur l'ensevelissement de saint Benoît. Il a été enseveli dans l'oratoire saint Jean-Baptiste au Mont-Cassin ; or les fouilles effectuées en 1950 confirment tout cela et permettent de préciser que son tombeau était au milieu de l'église à quelques mètres de l'autel. Cela donne une grande valeur historique à l'ouvrage de saint Grégoire le Grand.
Puisque les Dialogues de saint Grégoire le Grand ont été écrits alors qu'il était pape, cet ouvrage peut être considéré comme un procès de canonisation avant la lettre. Ainsi la reconnaissance officielle de la sainteté de saint Benoît date de 593 au plus tard, si cela n'avait pas été fait avant.
Le culte liturgique envers saint Benoît
Les premiers documents que nous possédons datent du VIIIe s. :
- Le martyrologe d'Echternach contient la fête de saint Benoît au 21 mars (début du VIIIe s.)
- de même dans le calendrier de saint Willibrord (vers 717 - 728)
- Martyrologe de Bède (725 - 731)
- A la messe, le plus ancien témoignage de la présence du nom de saint Benoît au communicantes, que nous avons date du milieu du VIIIe s..
- A la même époque son nom apparait dans les litanies à Soissons et à saint-Riquier.
Le culte liturgique de saint Benoit, comme celui de tous les confesseurs, ne s'est pas introduit immédiatement après sa mort ; les documents qui nous restent, permettent d'affirmer qu'avant la moitié du VIIIe s., ce culte liturgique existait, tout d'abord sur un plan local, dans la France actuelle. Mais pour le VIIe s., faute de documents, rien ne peut être affirmé.
Saint Benoit et sainte Scholastique
Le transfert des reliques
En 580 le Mont-Cassin a été détruit par les Lombards et laissé à l'abandon jusque vers 717. Entre temps, vers 660, des moines Francs sont venus cherchés les reliques de saint Benoît et de sainte Scholastique, et les ont transférées à l'abbaye de Fleury-sur-Loire ; elles arrivent un 4 décembre dans cette abbaye.
Que peut-on conclure de cet épisode ?
Après la destruction du Mont-Cassin il a fallu attendre pratiquement un siècle avant qu'on sorte de l'oubli les reliques du Patriarche des moines d'Occident. Cet abandon laisse supposer que le culte de saint Benoît n'était pas encore public, car il parait inconcevable que les reliques d'un saint honoré publiquement soient laissées à l'abandon. A moins que les circonstances historiques et les troubles que subissaient l'Italie, ont empêché toute expédition pour récupérer les saints corps. En bref nous sommes réduits à des conjectures pour le culte de saint Benoît au VIIe s..