De l'allégorie au réalisme dans les crucifix
En 692 eut lieu le Concile In Trullo, du nom du lieu dans lequel il se déroula à Constantinople ou "Quinisexte" car il est considéré par les orientaux comme un complément des cinquième et sixième conciles de Constantinople. Dans l'histoire de l'art chrétien et spécialement de l'iconographique ce concile à une grande importance en raison du canon 82, où il est dit que sur les icônes, à la place de la représentation de l'Agneau, type de la grâce et figure du Christ, soit représenté la réalité même, selon son aspect humain, celui qui a ôté le péché du monde, le Christ notre Dieu.
Ainsi ce concile exprime un véritable culte de la Croix vivifiante et la volonté de sortir de l'allégorie pour évoquer l'Incarnation du Christ. Désormais l'art va mette en valeur la dimension charnelle de l'existence du Christ : son incarnation, sa Passion et sa mort.
La persécution iconoclaste et le Christ en croix
D'autre part avec la persécution iconoclaste, l'Occident voit arriver de nombreux moines d'Orient chrétien avec leurs images. Sous l'influence des ces moines la représentation du Christ en croix va évoluer. Pendant longtemps les artistes ont répugné à fermer les yeux du Christ fixé sur la croix, et donc à le représenter bien mort même si le sang est représenté qui coule des cinq plaies du Christ. Mais cette représentation du Christ en croix évolua et dès le IXème siècle commence à apparaître le Christ mort, représenté sur la croix avec les yeux fermés, la tête penchée sur l'épaule, le corps fléchi. La personnification de l'Eglise recueillant le sang jaillissant du flanc du Christ se répand sur les images de la crucifixion.
Cette évolution de la représentation du Christ en croix est une conséquence de la crise iconoclaste. La mort du Christ n'est pas un accident mais un acte de la volonté divine. Afin d'affirmer la réalité de la nature humaine du Christ, les défenseurs de l'image expriment leur désir de montrer la Passion, la souffrance charnelle du Christ. Les artistes vont désormais montrer le Christ mort sur la croix.
Le Christ toujours triomphant sur la croix
Pour autant l'aspect triomphant ne disparait pas. L'iconographie de la crucifixion en Occident présente en effet un réalisme transcendant. Dès le XIème siècle, les yeux du Christ se ferment, la tête s'incline, les genoux fléchissent. Les images du Christ présentent la divinité de façon voilée à travers le visage du crucifié. La transcendance se cache derrière la souffrance pour ne transparaître qu'à travers une intériorité paradoxale du regard qui se retire sous les paupières closes.
La majorité des Christ en croix romans, Christ en majesté, représentent le Christ nu, sur la croix, simplement vêtu d'un linge autour des reins (périzonium). Les artistes romans, pour bien montrer la dignité du Christ, placent souvent sur la tête du Christ une couronne non d'épines mais royale. Dans toutes les contrées de l'Europe se développent ces images de majesté et de mort en lien avec les textes de la patristique latine. Cette iconographie des christ en croix de l'art roman proclame la réalité de la Rédemption continuellement à l'oeuvre dans l'Eglsie. Le Fils de Dieu incarné en Jésus Christ est réellement mort par amour pour le salut des hommes. Le Crucifié révèle la foi en la résurrection. Le Christ est toujours vainqueur sur la Croix, qui est un symbole de gloire, même si ses yeux fermés montrent qu'il est réellement mort. Dans les siècles suivants l'expression du réalisme ne va cesser de s'accentuer pour exprimer le drame de la Passion.
Vers un crucifix plus réaliste
Jusqu'au XIIème siècle, l'art de l'Orient chrétien et celui de l'Occident communient à une même tradition iconographique. Mais peu à peu l'art de l'Orient chrétien et celui de l'Occident vont différer. Le premier va donner à voir un Christ en croix, mort certes (les yeux sont fermés) mais apaisé, royal et majestueux, enveloppé de la lumière de la résurrection. L'art de l'Occident, au contraire, va insister de plus en plus sur le réalisme de la représentation. L'iconographie de la crucifixion avec la couronne d'épines n'apparaît qu'au XIIIème siècle lorsque saint Louis apporte à Paris la couronne d'épines et fait construire la Sainte-Chapelle en guise de châsse.
La représentation réaliste de la crucifixion favorisera en Occident, à partir du XIVème siècle, toute une mystique autour de la croix. La méditation spirituelle s'oriente alors vers la contemplation du drame de la Passion et des souffrances du Christ. Désormais, les représentations réalistes et pathétiques de la crucifixion se multiplient, images de la douleur et de la mort, expression d'une infinie tristesse et d'une émotion intense qui bouleverse.
La Renaissance et la représentation du crucifix
Mais avec l'influence de la renaissance italienne, la beauté du nu antique va progressivement remplacer le réalisme pathétique de la fin du Moyen Âge. Les traits du Christ en croix le figurent alors dans une réalité conventionnelle. Le Christ en croix de la Renaissance cherche à toucher par une beauté plastique qui ne parle qu'aux yeux, alors que le Christ en croix des siècles précédents rayonnait d'une beauté toute intérieure qui parlait à l'âme. Le Christ sur la croix perd alors souvent sa silhouette de souffrance.
Christ glorieux, douloureux et beauté plastique
Ainsi en Occident, le Christ en croix était représenté glorieux pendant le Moyen Âge ; douloureux, en agonie dès la fin du XIIIème siècle et jusqu'au XVème siècle. Le XVIème siècle exprime une recherche de la beauté plastique dans le même temps où l'Eglise, au concile de Trente, tout en rappelant la doctrine des saintes images, s'élève contre certains abus, demande que toute indécence soit évitée en sorte que les images ne soient peintes ni ornées d'une beauté provocante. Ces dernières recommandations ne visaient pas directement la représentation du Christ en croix car ce thème ne favorise pas tellement la sensualité.
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Pascal - 01/11/2021 11:03:16
Bonjour. Je viens d'entendre un historien expliquer que la représentation du Christ barbu à partir du IVe siècle visait à se conformer à l'esthétique des moines syriens. Auparavant le Christ était représenté glabre, avec un corps d'Apollon, en conformité avec les standards de l'antiquité. La transition a eu lieu entre le IVe et le VIe siècle.