Le retable ouvert et fermé
Quand on contemple le polyptyque fermé, la dominante ocre nous rappelle la terre ; mais ouvert il attire vers le haut, vers le ciel avec le jeu des couleurs, les riches décors des habits, les personnages rassemblés en choeur. Si les groupes de personnages manifestent une unité, une communion, pour autant il n'y a pas confusion et chaque membre garde sa personnalité et se distingue. Cela nous rappelle que Dieu n'a pas aimé l'humanité en gros, mais qu'il aime chacun personnellement ; pour Dieu chaque individu n'est pas un inconnu comme perdu au milieu d'une foule. Si j'avais été le seul pécheur au monde, le Fils de Dieu se serait quand même incarné et aurait donné sa vie pour moi par la mort sur la croix : "Il m'a aimé et s'est livré pour moi" dit saint Paul dans l'Epître aux Galates en parlant du Christ. Cette personnalité que chacun conservera au Ciel montre que la communion dans le Ciel n'est pas un panthéisme où chacun est perdu dans le "grand tout".
Dans ce retable des frères Van Eyck, tous ces visages sont graves, sans grande expression, mais ils expriment une attention, un regard intérieur, une occupation intérieure : la gloire de l'Agneau.
Aux extrémités du retable ouvert
Offrandes de Caïn et d'Abel
le polyptyque ouvert est une fenêtre ouverte sur le Ciel, avec l'Agneau mystique au centre, le Fils dans sa gloire et la louange éternelle des saints ; mais les extrémités nous rappellent la dure réalité du péché et du mal incarné dans nos premiers parents et dans le premier homicide : Caïn tuant Abel.
Ce contraste entre l'Agneau mystique et la représentation du fratricide symbolise la guerre intérieure présente en chaque homme ; comme dit l'Apôtre la chair lutte contre l'esprit et l'esprit contre la chair. Nous sommes des rachetés, remplis de l'Esprit-Saint, mais il nous faut peu pour redevenir des esclaves de Satan.
Meurtre d'Abel par Caïn
Cette vallée de larmes
Au lieu de Caïn et d'Abel représenté dans les deux petites faitières aux extrémités on aurait mieux aimé des Anges. Mais le choix des frères van Eyck se justifie, car nous sommes encore dans cette vallée de larmes arrosée du sang d'Abel le juste. La faitière de gauche représente donc Caïn jaloux de son frère Abel du fait que l'offrande de ce dernier a été agréable à Dieu, alors que la sienne était souillée par l'égoïsme, la cupidité et l'envie. Cette jalousie causa le premier meurtre, qui fut un fratricide et qui est représenté dans la faîtière de droite. Par ces deux tableaux est représenté tout le drame de l'humanité, esclave du péché dont l'origine remonte à Adam et Eve représentés debout nus et honteux : le péché fatidique vient d'être commis, Eve a dans sa main le fruit défendu. Mais il n'est pas irrémédiable, comme le rappelle l'agneau debout et comme immolé. C'est la figure du Christ Sauveur, qui a donné sa vie pour le salut de l'humanité et se donne en nourriture à chacun d'entre nous. Si la représentation d'Adam, d'Eve, de Caïn et d'Abel contraste avec le reste du tableau par l'absence de couleur, cette opposition montre combien le bien l'emporte sur le mal : heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur, comme nous chantons dans la nuit de Pâques. Ainsi tous les autres tableaux du retable chantent la gloire de l'Agneau, du Fils triomphant assis sur son trône.