Jusqu'à la fin du XIXe s. la tradition était unanime pour attribuer à saint Dominique l'origine du Rosaire, comme nous l'avons rappelé dans un article précédent. Mais à cette époque deux religieux, un jésuite anglais le P. Herbert Thurston et un dominicain allemand Thomas Esser entreprirent chacun de son côté des recherches pour asseoir historiquement cette vénérable tradition.
Les travaux du P. Herbert Thurston sur l'origine du rosaire
Lorsqu'il commença ses recherches sur les origines du Rosaire, il désirait établir sur une base solide la tradition qui en attribuait l'origine à saint Dominique, mais, il dut déchanter, comme il l’écrivait alors à l’Abbé Gasquet (15 mars 1901) :
« J’estime qu’avant Alain de la Roche, il n’y a pas l’ombre de témoignage identifiant en quelque façon les Dominicains avec le Rosaire. Tout s’effondre lorsqu’on y touche. Il existe des milliers de documents où il est tout à fait normal de s’attendre à la voir (quelque peu) ressortir et on n’en trouve pas trace. Pour toute preuve, on nous renvoie à des documents qui ont disparu, et qui ne peuvent être ni examinés, ni soumis à la critique — des bulles qu’Alain de la Roche dit avoir vues — des tableaux qui (d’après ce qu’on a dit à Mamachi) furent examinés par des experts, des Constitutions Beguines auxquelles, à l’heure actuelle, les Dominicains les plus érudits n’ajoutent pas foi, etc... Je n’ai pas le moindre désir de poser pour un iconoclaste ; tous mes instincts me portent à être conservateur. Où me mènerait la question du Rosaire? Lorsque je commençai à l’étudier, je n’en avais qu’une vague idée. J’espérais arriver à quelque chose que l’on pourrait admettre comme une tradition immémoriale. Comme vous-même, je considérerais cela comme, relativement parlant, un morceau de « terra firma ». Mais tout ce que j’ai pu trouver en fait de tradition m’a ramené tout droit à Alain de la Roche ».
le P. Thomas Esser O.P. avait admis que l’usage de méditer sur les mystères durant la récitation (du Rosaire) ne remontait pas plus loin que les Chartreux allemands du XIVe siècle; mais il n’était pas disposé à renoncer à l’ensemble de la tradition qui admettait l’attribution du Rosaire à saint Dominique.
Les arguments contre à l'attribution de l'origine du Rosaire à saint Dominique
Pendant près de 20 ans le Père Thurston travailla cette question de l'origine du Rosaire. Ces objections quant à l'attribution de l'institution du Rosaire à saint Dominique peuvent se résumer ainsi :
Malheureusement cette apparition de la sainte Vierge à saint Dominique n'est pas du tout prouvée historiquement :
- aucun des sept premiers biographes de saint Dominique ne fait la plus légère allusion à la révélation ou à la pratique du rosaire.
- il en est de même des nombreux témoins appelés à témoigner au procès de canonisation en 1233.
- on ne peut citer aucun mot d'une auteur ascétique ou mystique de l'ordre de saint Dominique pendant le XIIIe et XIVe siècle pour revendiquer le chapelet comme une dévotion spéciale de l'Ordre.
- dans une abondante collection de Constitutions promulguées durant cette même période, on trouve des indications précises et détaillées sur les pratiques en l'honneur de la sainte Vierge. Aucune une allusion n'est faite au chapelet.
- L'art n'offre aucune trace de cette tradition qui attribue l'origine du chapelet pratiqué actuellement à Saint Dominique : pas un seul monument dominicain du XIIIe ou du XIVe siècle ne commémore de façon quelconque la vision supposée du chapelet ou ne paraît unir la récitation des Ave à l'ordre des frères Prêcheurs en particulier.
- Il y a bien des monuments qui représentent des Dominicains munis du rosaire, mais il en existe également de la même époque représentant des Franciscains et des Carmes.
- Il y a aussi un document du XIIIe s., le testament d'Antoine Sers, qui atteste l'existence d'une Confraternité du Rosaire fondée à Palencia en Espagne par saint Dominique avant sa mort. Mais ce document a été reconnu comme un apocryphe.
- Il en est de même pour la chronique de Luminosi de Aposa dans laquelle, l'auteur, qui avait souvent entendu le saint prêcher à Bologne, lui attribue explicitement. Mais toute cette chronique a été fabriquée comme l'a reconnu le futur pape Benoît XIV.
Comment l'institution du Rosaire a-t-elle été attribuée à Saint Dominique ?
Toute la légende concernant les rapports de Saint Dominique avec le rosaire a été inventée par Alain de la Roche, un zélé prédicateur dominicain et promoteur de confréries du Rosaire établies à Cologne, puis en d'autres villes d'Allemagne et des Pays-Bas, vers la fin du XVe s.. Alain croyait lui-même avoir eu des visions dans lesquelles toute la vie de saint Dominique lui avait été manifestée ; mais ces récits comme l'atteste Echard et d'autres membres de l'ordre, étaient des inventions de son cerveau. Compte tenu de l'importance de l'Alain de la Roche dans la diffusion de la dévotion du rosaire, nous consacrerons un article entier à ce dominicain qui est considéré comme bienheureux.
Une réponse décevante aux arguments du P. Thurston
Pendant quelque temps, la controverse se réduisit à des efforts spasmodiques de ses adversaires pour produire des fragments de témoignages qui semblaient rompre le silence antérieur à l’époque d’Alain; mais ces documents purent rarement résister longuement à un examen historique approfondi. Et les adversaires du Père Thurston n’étaient pas d’accord entre eux au sujet de la valeur qu’il convenait d’attribuer aux différents témoignages que l’on alléguait.
Jusqu'en 1925 encore, on trouvera, autour du P. Xavier Faucher († 1930) des défenseurs intrépides de "la tradition de l'Eglise romaine" faisant de saint Dominique le génial créateur du Rosaire.
Approfondir l'origine du Rosaire
Si saint Dominique n'est pas l'auteur de l'institution de la dévotion au Rosaire, il faut bien expliquer son origine. Dans un prochain article nous expliquerons comment le Rosaire s'est formé. D'autre part, il est important de regarder dans les documents pontificaux consacrés au Rosaire, comment les souverains pontifes parlent de l'origine du rosaire et du rôle de saint Dominique. Cela sera l'objet d'un autre article.
Livre sur les apparitions de la Vierge à Fatima
Les lettres de noblesse du Rosaire
Il est possible que cette remise en question de l'attribution de l'origine du rosaire à saint Dominique trouble certaines personnes et qu'elles ressentent cela comme une offensive des modernistes contre une tradition acceptée pendant plusieurs siècles. Tout d'abord le Père Thurston n'a rien d'un moderniste, ensuite le plus important à propos du rosaire, n'est pas son origine, mais l'approbation des Souverains Pontifes et surtout qu'il a été recommandé avec insistance par la sainte Vierge elle-même à Lourdes et à Fatima. Ce sont vraiment là les titres de noblesse du Rosaire qui doivent faire naître en nos coeurs un grand esprit de vénération et le désir de le prier chaque jour si ce n'est pas encore le cas.