le visage du saint Suaire de Turin
Céline, la soeur de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, dit un jour « Ma vie spirituelle peut s’inscrire entre deux amours : ma Thérèse et la Sainte Face. » Le second allait prendre soudain un développement inattendu à partir de 1898.
La sainte Face de Monsieur Dupont
L’image de la Sainte Face, diffusée par le saint homme de Tours, M. Dupont, d’après le voile de Véronique conservé à Saint-Pierre de Rome, avait excité la dévotion de la famille Martin, lors de la maladie paternelle. Elle n’offrait pas toutefois ce caractère de noblesse qu’on exige d’instinct pour l’effigie divine. Marie Guérin ne cachait pas ses répugnances.
La sainte Face du saint Suaire de Turin
Quelques semaines après la mort de Thérèse, par lettre datée du 10 novembre 1897, le roi d’Italie autorise l’ostension publique du Saint- Suaire de Turin. En mars 1898, on tire la précieuse Relique de sa caisse de plomb circulaire. C’est l’occasion de pèlerinages et de publications multiples. Durant cette ostension, on photographia pour la première fois le saint Suaire et on découvrit que l'image imprimée sur le tissu était un négatif. M. Guérin se procure le livre de M. Vignon, Le Linceul du Christ, et le passe à sa nièce, Céline, dont il connaît le goût pour les expériences photographiques.
Visage de Jésus reconstitué d'après le saint Suaire
Céline face au visage du Christ
Le soir, dans sa cellule, à l’heure du silence, la religieuse déploie les planches qui reproduisent en positif la forme négative imprimée sur l’étoffe imbibée d’aromates. Elle demeure muette d’émotion. « C’était bien mon Jésus, tel que mon cœur l’avait pressenti... Et, cherchant les traces de ses douleurs, je suivis par les blessures l’empreinte de la cruelle couronne d’épines. Je vis le sang coagulé dans les cheveux, puis coulant en larges gouttes. Au sommet de la tête, à gauche, on sent que la couronne a dû être arrachée avec peine. Cet effort a maintenu raidis les cheveux collés entre eux par le sang. L’œil gauche semble être légèrement ouvert, tandis que le droit est tuméfié. Je vis le nez fracturé dans la partie supérieure, la joue droite et la narine enflée par le soufflet du valet, la barbe toute couverte de sang... Alors, ne pouvant plus contenir les sentiments de mon cœur, je couvris cette Face adorable de mes baisers et l’arrosai de mes larmes. Et je pris la résolution de peindre une Sainte Face d’après cet idéal que j’avais entrevu. »
Sœur Geneviève au travail
Elle ne put se mettre à la tâche qu’à Pâques 1904, et exécuta d’abord un dessin au fusain. Les maisons d’édition auxquelles on s’adressa représentèrent que la reproduction serait défectueuse. Mieux valait faire une grisaille en peinture. Elle s’y appliqua dès 1905, au temps pascal, y consacrant tous ses temps libres : Dimanches, jours de fête et heures de silence. Elle travaillait debout, ce qui lui était un supplice, face à une image, grandeur naturelle, du Visage du Christ, s’appliquant à suivre à la loupe les moindres fils de tissu et les traces correspondantes. Sacrifiant la sieste, elle qui avait tant besoin de sommeil, elle se contentait de se coucher en pelote au pied de sa toile, les dix dernières minutes, la tête appuyée sur son mouchoir roulé en boule : ce qu’elle appelait « faire le chien ».
La sainte Face réalisée par Soeur Geneviève
Soeur Geneviève n'est pas seule à travailler à la sainte Face
Elle mobilisait tout le Ciel à son secours, déposant chaque soir pinceaux et ouvrage devant la Vierge du Sourire et portant, quand elle était seule, son tableau devant le Saint Sacrement, comme pour le soumettre à ses divins rayons. Elle y intéressait aussi saint Joseph, toute la milice céleste, et sa propre famille de là-haut. Quand l’effort était trop dur, elle songeait à la Vierge Douloureuse au sommet du Calvaire. Au cours de ces quelques mois, il lui arriva trois ou quatre fois — que ce soit l’effet d’une imagination hantée par son sujet ou d’un privilège de choix récompensant un tel labeur — d’apercevoir devant elle, l’espace d’une minute (« ce n’était pas des yeux du corps » précise-t-elle) « le Visage de Jésus souffrant, d’une beauté et d’une netteté saisissantes ».
Offrande à la sainte Vierge
La toile achevée, elle la porta à la Sainte Vierge « pour lui en donner les prémices ». Puis elle eut l’inspiration de consulter l’Evangile et tomba sur le verset de saint Matthieu : « Tous ceux qui étaient là et qui virent ce qui se passait dirent : Celui-ci est vraiment le Fils de Dieu ».
Le tableau de la sainte Face récompensé
Il s’agissait en fait d’un authentique chef-d’œuvre, auquel, en mars 1909, fut décerné le Grand Prix de l’Exposition Internationale d’Art Religieux de Bois-le-Duc, en Hollande. L’image, d’une incontestable majesté en son tragique réalisme, fut vulgarisée à des millions et des millions d’exemplaires. Placée sous les yeux de Pie X, celui-ci la contempla longuement, murmurant à plusieurs reprises : « Que c’est beau ! » Il ajouta avec sa bonté coutumière : « Je veux donner un souvenir à la petite religieuse qui a fait cela », et il remit pour elle une grande médaille de bronze où son portrait était gravé en relief : ce qu’elle apprécia, faut-il le dire, plus que d’être reçue au Salon.
Songeant à l’épreuve paternelle, dont le souvenir l’avait hantée au cours de ses multiples séances d’atelier, Céline écrira : « Ah ! Je ne m’étonne pas d’avoir pu réussir la Face douloureuse de mon Jésus. On a dit, je le sais, qu’une âme pure avait seule eu le don de reproduire un si beau Visage, et moi je sais encore que, pour comprendre de telles blessures, il a fallu une âme qui en portât les empreintes. »
Sœur Geneviève peignit ensuite d’après le Saint Suaire, et en recourant aux explications historiques les mieux fondées, un Christ à la colonne et un Christ crucifié. Ses notes, traversées d’une conviction ardente, reviennent fréquemment sur ce thème de la Passion du Sauveur et de l’établissement de son règne par la Croix. Elle alla jusqu’à composer un projet d’Office et de Messe en l’honneur de la Sainte Face.
Soeur Geneviève de la Sainte Face et de sainte Thérèse
Soeur Geneviève de la Sainte Face et de sainte Thérèse
Céline gardera toujours religieusement ce culte. Le 14 novembre 1916, Mère Agnès de Jésus, Prieure en charge, l’autorisa à ajouter à son nom le vocable de la Sainte Face. Elle signera désormais, inversant les titres : « Geneviève de la Sainte Face et de sainte Thérèse. » Elle choisira pour fête la Transfiguration, aimant à célébrer, en contraste avec le Visage souffrant, la Face éblouissante de gloire. Elle peignit une bannière de la Sainte Face, qu’elle portait elle-même, chaque année, à une procession de Communauté. De cette ferveur d’amour, son âme était comme blessée. Elle y puisait une foi infrangible. « Comment, écrit-elle, ayant eu en ma possession la Face de Dieu, ne me présenterais-je pas avec assurance devant la Face de Dieu ? Oui, puisque la Face de mon Jésus, c’est Dieu même rendu palpable à mes regards sous un vêtement de chair, « l’Arc du Puissant est brisé, et les faibles ont la force pour ceinture (I Samuel, II 4) ».