Quand on s'informe sur l'histoire de la médaille de saint Benoît, qu'on parcourt des articles de blogs consacrés à cette médaille religieuse ou que l'on visite différentes boutiques religieuses qui vendent cette médaille, on peut d'une part être surpris ou même troublé de constater des différences importantes entre les médailles de saint Benoît et d'autre part être dérouté par les argumentaires qui expliquent que seule telle médaille est une authentique médaille de saint Benoît. Que faut-il penser de tout cela ?
Dom Guéranger et la croix de saint Benoît
A propos de la médaille de saint Benoît l'ouvrage qui fait référence, est le livre de Dom Guéranger, abbé fondateur de l'abbaye de saint Pierre de Solesmes, "Essai sur l'origine, la signification et les privilèges de la médaille ou croix de saint Benoît". Edité en 1862, cet essai garde toute son actualité et tous les travaux postérieurs sur la médaille de saint Benoît se basent en grande partie sur cette publication.
Au début de son essai, dom Guéranger décrit la médaille de saint Benoît telle qu'elle était à son époque et qu'il a reproduite au début de son ouvrage.
Recto de la médaille connue par Dom Guéranger
Le recto de la médaille comporte une croix avec toute une série de caractères qui se retrouvent à l'identique sur toutes les médailles de saint Benoît ; il n'est donc pas nécessaire de s'arrêter longuement dessus sauf sur le monogramme IHS. Nous en reparlerons plus loin.
Le portrait de saint Benoît au verso
Saint Benoît est représenté avec une croix dans la main ; ceci fait allusion à différents épisodes de sa vie racontée par son biographe saint Grégoire le Grand. Ce disciple de saint Benoît raconte comment le patriarche des moines d'Occident repoussait les tentations, attaques et vexations du Diable par le simple signe de la croix.
Le visage de saint Benoît nous est inconnu, par conséquent, quand on le représente sur une image, on ajoute des attributs afin qu'il puisse être identifié sans hésitation. Ainsi sur la médaille de saint Benoît que Dom Guéranger a reprise au début de son ouvrage plusieurs attributs ont été représentés, en plus de la croix dans la main:
- la coule monastique,
- le livre de la règle dans la main,
- une mitre au pied,
- un corbeau.
Identification du portrait de saint Benoît
Ces attributs pris séparément ne sont pas suffisants pour identifier la personne de saint Benoît d'une manière certaine, sauf peut-être la règle. Mais pris ensemble, l'identification de saint Benoît devient certaine :
- la croix rappelle ses victoires sur le démon,
- la mitre indique qu'il est abbé, le patriarche des moines d'Occident,
- le livre dans la main symbolise la règle monastique qu'il a rédigée,
- le corbeau rappelle un épisode de sa vie où cet oiseau exécuta une mission demandée par saint Benoît : jeter un pain empoisonné là où personne ne pourra le trouver.
Différents portraits de saint Benoit ?
Dans son livre Dom Prosper Guéranger insiste sur l'importance de la représentation de saint Benoît et s'élève contre certaines altérations, qui ne font pas perdre le titre de médaille de saint Benoît mais sont une grave inconvenance. Il rappelle avec justesse le maintien des attributs que la tradition ecclésiastique a assignés à chaque saint sous peine d'irrévérence. Mais il ne dit pas, comme certains veulent nous le faire croire, que tous ces attributs sont nécessaires pour la vraie médaille ou croix de saint Benoît.
Eléments essentiels de la médaille de saint Benoît
On peut donc s'interroger : quels sont les éléments essentiels pour qu'une médaille de saint Benoît soit authentique ?
Dans le problème qui nous occupe, notre travail est bien facilité par le bref du Benoît XIV dans lequel est décrit ce qu'est la médaille ou croix de saint Benoît. Comme c'est un document du Pasteur suprême, son autorité ne peut pas être remise en doute. Voici la manière dont il décrit la médaille de saint Benoît :
"… Médailles connues sous le nom de Croix de saint Benoît, et dont une face représente l'image de saint Benoît, et l'autre une Croix avec ces lettres ou caractères à sa circonférence signifiant respectivement ce qui suit :…" (vient alors toute la série de lettres qu'on retrouve sur toutes les médailles).
Le Pontife Romain parle simplement d'une image sans préciser aucun attribut. Cela donne une certaine liberté ; il suffit donc que la représentation soit telle qu'elle ne laisse aucun doute sur l'identité de la personne gravée sur la médaille. Il n'est donc pas nécessaire de s'attacher à tel ou tel détail, mais de voir l'ensemble. Quand on regarde les différents modèles de médailles de saint Benoît on remarque qu'elles ont une inscription soit sur le pourtour "S. Benedicti Monachorum Patriarche", soit de part et d'autre de la silhouette de saint Benoît "Crux S. P. Benedicti" ; une telle inscription suffit pour lever tout doute sur l'identité du personnage. Cette inscription nous renvoie à la tradition iconographique des Eglises d'Orient selon laquelle une icône d'un saint s'achevait par l'inscription du nom du saint. De là il ressort que pour l'authenticité d'une médaille de saint Benoît au niveau de l'image du saint, il suffit de représenter le visage d'un moine avec un ou plusieurs attributs propres à saint Benoît et de graver le nom du saint Patriarche. De cette manière aucun doute n'est possible sur l'identité de la personne représentée.
L'inscription PAX ou IHS de la médaille.
En lisant attentivement le bref de Benoît XIV, il n'est fait aucune mention de cette inscription alors qu'il aurait pu très bien en parler quand il décrit avec soin le recto de la médaille de saint Benoît avec toutes les séries de lettres. Ainsi on est en droit de conclure que IHS n'est pas un élément fondamental de la médaille de saint Benoît.
De plus, il est fort possible que sur les premières médailles il n'y avait pas cet IHS puisqu'il vient de saint Bernardin de Sienne au XVème et des Jésuites qui usaient fréquemment de ce monogramme du nom de Jésus dans la décoration et pour la promotion de la contre-réforme catholique.
D'autre part, en rappelant l'origine du PAX, il apparaîtra plus clairement que le IHS n'a rien d'obligatoire.
La médaille du Jubilé
En 1880, l'ordre de saint Benoît s'apprêtait à fêter le 1400ème anniversaire de la naissance du saint Patriarche des moines d'Occident. Pour cette occasion l'Abbaye de Beuron frappa une nouvelle médaille de saint Benoît, dite médaille du Jubilé ; elle comporte à la place de IHS la devise bénédictine PAX. Cette médaille fut approuvée par le Pape Pie IX en 1877. Avec une telle approbation, n'est-ce pas reconnaître que cette médaille est une authentique médaille de saint Benoît ? N'est-ce pas reconnaître implicitement que le IHS n'est pas un élément essentiel de la croix de saint Benoît ?
Depuis lors ce modèle est devenu le plus répandu. Beaucoup de médailles de saint Benoît vendues sur notre boutique religieuse reprennent ce modèle :
Voir les médailles de saint Benoît
Certaines médailles possèdent à la fois PAX et IHS (de quoi satisfaire tout le monde) :
De tout cela nous pouvons conclure que la notion d'authenticité ne doit pas être comprise d'une manière trop étroite ou trop matérielle. En s'appuyant sur les documents officiels, le bref de Benoît XIV, il est facile de reconnaître que l'autorité suprême laisse certaines latitudes. Le Pape Pie IX, en approuvant la médaille du Jubilé, confirme cette interprétation. On ne peut pas s'appuyer simplement sur l'autorité de Dom Guéranger pour discerner les vraies médailles de saint Benoît des fausses comme le font certains articles que nous pouvons lire sur internet.